Théo au royaume des manchots

Sa passion pour la nature remonte à ses plus lointains souvenirs. A 29 ans, Théo Châteaugiron est ingénieur d’étude en écologie. Sa mission scientifique comme ornithologue aux Îles Kerguelen l’a mené à arpenter l’archipel et à côtoyer la faune. Une aventure humaine dont il a rapporté des centaines d’images nourries de sa seconde passion : la photo.   Sa première exposition*   invite à nous « transmettre un peu de l’intimité des Îles Kerguelen et de sa faune, si mystérieuses et inaccessibles ». Mise en bouche de cette aventure…

Qu’aviez-vous emporté comme bagage aux Kerguelen ?

J’ai évité de multiplier les informations pour préserver un regard ouvert à la découverte. Le plaisir de m’extasier a été au rendez-vous au terme de trois semaines de voyage en bateau, avec la satisfaction de toucher à nouveau la terre ferme, mais en étant au bout du monde pour 15 mois… Si les paysages ressemblent à la Bretagne, en revanche, aucun arbre ici.

 

Les seuls humains résident tous à la station scientifique. Les sédentaires ce sont les animaux ?

Le dépaysement était gigantesque quand, pour le suivi scientifique, nous allions dans les refuges. Ces cabanes nous offraient un rapprochement inouï avec les colonies de manchots. Une ambiance sonore incroyable. Tout à coup, 100.000 individus à perte de vue ! C’est un gros oiseau, bruyant et… très odorant: la colonie, on la sent, on l’entend bien avant de la voir !

 

En ce sens, la photo « sublime »-t-elle le réel ?

Il y a une dimension frustrante dans la mesure où une colonie de manchots ce sont des odeurs, du bruit, du vent. Des impressions difficiles à faire ressentir en photo. La photo idéalise aussi : on choisit toujours ce qu’on veut montrer. Les Kerguelen peuvent être rudes ; par exemple la prédation : en hiver, les pétrels vont attaquer les poussins faibles. A l’image c’est cruel, dans les faits c’est un cycle alimentaire naturel.

 

Faites-nous rêver avec votre mission scientifique…

L’intérêt des suivis scientifiques qui existent ici depuis les années 80, c’est le recul des données, du travail de terrain sur le long terme. Les otaries et les éléphants de mer ont longtemps été chassés pour leur graisse ou leur fourrure. Aujourd’hui, le comptage démontre une amélioration de la population de ces mammifères, en lien avec l’interdiction de chasse actée il y a quelques années. Les chercheurs se sont aussi questionnés sur la chute démographique des pétrels à menton blanc. Grâce à des mesures pour les protéger des lignes de pêche des bateaux, les oiseaux ne risquent plus d’être capturés accidentellement en s’accrochant aux hameçons, attirés par les poissons mis à leur portée. C’est un aspect valorisant de notre travail d’être témoins d’actions et  de réponses rapides à la protection des espèces. Pour le changement climatique, c’est plus compliqué !

 

Pointez-vous  des signes du changement climatique ?

Le suivi en place permet de marquer (baguer), identifier et ainsi retrouver les oiseaux pour étudier la vie des individus et observer des concordances avec les données climatiques. L’acidification des océans [dû au réchauffement climatique] a un impact visible sur la ressource alimentaire. Le manchot royal pêche dans des zones de turbulences poissonneuses. Ces zones vont de plus en plus au sud, et l’oiseau doit parcourir des distances de plus en plus grandes. De fait, il s’éloigne de ses petits, ce qui impacte leur nourrissage et cause une mortalité accrue. Une autre problématique est à souligner : les microparticules de plastique. Les oiseaux les confondent avec la chair de poisson. Les Kerguelen ne sont pas une bulle isolée : les problématiques sont communes à d’autres îles.

Si vous deviez raconter une seule photo…

Celle d’une colonie de manchots survolée par un skua subantarctique. A la fois pour sa dimension esthétique, sa dynamique et ce qu’elle raconte. Le skua dénote, seul dans le ciel, face à tous ces oiseaux serrés, au sol, qui semblent identiques (sans l’être !). C’est l’attente du moment opportun : le prédateur guette le moment d’inattention de l’oiseau adulte pour saisir le poussin ou l’œuf… Derrière l’esthétique, j’ai beaucoup de choses à raconter ! Pour chaque photo, il existe plusieurs lectures.

Le « hors cadre » de la photo peut-il éveiller la connaissance, la « conscience » scientifique, en créant une passerelle avec la culture?

La photo est un point d’accroche, une forme de langage qui permet de susciter la curiosité et de pouvoir amener ensuite à élargir le champ, notamment discuter de problèmes environnementaux. Les jeunes sont sensibles à la découverte, les espèces rares notamment. C’est important de pouvoir diffuser des films,  montrer des expositions qui soient accessibles à tous et ouvrent à la réflexion.

Est-ce important pour vous d’être présent pendant votre première exposition ?

Ça rend l’exposition doublement enrichissante pour moi. Voir et ressentir les réactions du public et pouvoir échanger avec les personnes, sur leur interprétation notamment. Une photo n’est pas toujours compréhensible au premier abord. Au-delà de la légende associée au cliché,  c’est aussi intéressant de pouvoir expliquer l’arrière-plan, comme par exemple le problème insulaire d’espèces invasives comme… les chats ! C’est aussi amener à réfléchir sur l’impact du changement climatique sur les oiseaux là-bas, conséquence d’actes d’ici. Mais c’est aussi dire que la nature, belle au bout du monde, est aussi belle près de chez soi. Pour peu qu’on prenne le temps, se poser, s’assoir, regarder autour de soi pour voir des couleurs, des formes inattendues et pas seulement aux Kerguelen !

Propos recueillis par Nathalie Soyeux

                                         * exposition « Une année aux Kerguelen » visible à Verneuil d’Avre-et-d’Iton, à la médiathèque, aux horaires habituels, du mardi 3 au samedi 7 octobre, en présence du photographe. Entrée libre.